Moment magistral ou dialogué ? énoncée par le prof ? construite avec les élèves ? Bilan d’une situation ou introduction d’une séquence ? Difficile de s’y retrouver dans les différentes conceptions de la leçon qui circulent au sein de la communauté des profs de maths. Je propose dans ce post quelques pistes pour y voir plus clair.
1. Quel est l’intérêt de la phase de leçon en cours de mathématiques ?
2. Faut-il introduire les notions avant la phase de leçon ?
3. Comment préparer la leçon quand on débute ?
4. Comment faire vivre la leçon en classe ?
1. Quel est l’intérêt de la phase de leçon en cours de mathématiques ?
« Bon, on me dit qu’il faut suivre la méthode de l’enseignement explicite, mais à côté on me dit qu’il faut introduire chaque notion pour leur donner du sens. C’est contradictoire non ? »
Oui, un peu, nous verrons que les modèles d’enseignement de nouvelles notions sont parfois contradictoires et peuvent manquer de plasticité. Pour clarifier les choses, il est bon d’abord de se rappeler les objectifs d’une leçon. La leçon présente ce qui les savoirs qui doivent être retenus par les élèves et les savoir-faire qui doivent être appris. Cette phase est l’occasion pour l’enseignant de valider des savoirs et des savoir-faire, de leur donner un statut particulier : ils deviennent des références essentielles pour la classe dans le processus de construction d’une discipline (dans sa transposition scolaire). La leçon indique également à l’élève les formulations et les statuts des objets tels qu’ils sont considérés par la communauté disciplinaire (scolarisée). C’est donc un moment privilégié pour favoriser l’inscription des élèves dans une culture de la discipline avec ses modes de dire, de faire et de penser.
« Ça ne m’aide pas, j’introduis les notions avant la leçon ou pas ? »
2. Faut-il introduire les notions avant la phase de leçon ?
Plutôt que de trancher en toute généralité sur le fait qu’il faut ou qu’il ne faut pas mettre en œuvre en classe des situations d’introduction, je te propose de poser une autre question qui me semble davantage pertinente. Une fois qu’on a écrit la leçon, il s’agit de se poser la question suivante : « comment rendre le plus intelligible possible cette leçon ? »
« Ok, merci pour ces généralités, mais j’ai des leçons à préparer. Alors comment rendre intelligible la leçon ? »
Prenons deux savoir-faire enseignés au collège :
a. Reconnaître deux angles alternes-internes ;
b. Produire une expression littérale.
a. Reconnaître des angles alternes-internes
La leçon correspondante au savoir-faire « Reconnaître des angles alternes-internes » comprend habituellement un point de vocabulaire sur les angles alternes-internes et la configuration des deux droites et de la sécante, ainsi que des exemples et peut-être des contre-exemples.
Il existe des situations d’introduction. On peut par exemple imaginer une situation où sont présentées plusieurs configurations géométriques avec sur chacune deux angles alternes-internes ou deux angles qui ne sont pas alternes-internes. En dessous de chacune des configurations, il est indiqué si les angles sont alternes-internes ou s’ils ne le sont pas. La question posée aux élève vise alors la reconstitution de la définition de deux angles alternes-internes. Ce travail de formulation et de reformulation est pertinent en soi, pour les échanges langagiers – et espérons les progrès langagiers – qu’il suscite.
J’ai effectué plusieurs années de suite cette situation d’introduction en 5e, puis j’ai changé d’avis, quand j’ai constaté que pour ce travail de reconnaissance visuelle, un moment dialogué avec allers-retours entre la définition et la figure de la leçon obtenait – il me semble – les mêmes résultats et était bien moins chronophage. Par ailleurs, les élèves n’éprouvent généralement pas de difficultés avec le principe d’angles alternes-internes et leur reconnaissance dans des configurations élémentaires. La difficulté survient quand ils doivent identifier des angles alternes-internes dans des figures complexes. C’est donc la phase d’entraînement (pratiques guidée et autonome dans les termes de l’enseignement explicite), qui semble primordiale dans ce cas pour que la réussite de cette tâche.
b. Produire une expression littérale
Pour le savoir-faire « Produire une expression littérale », c’est bien différent. En général, c’est le premier paragraphe de leçon de la séquence sur le calcul littéral. La leçon commence fréquemment par un point de vocabulaire sur la notion d’expression littérale et de variable. Puis elle se poursuit par des exemples d’expressions produites représentant des relations entre grandeurs géométriques et/ou des expressions issues de généralisation de motifs. Commencer par ce moment de leçon ne favorise pas la compréhension de l’objet « expression littérale », ce sera même pour certains élèves un facteur de rupture avec les maths : « pourquoi il y a des ? Ça sert à quoi ? » Pourtant des situations d’introduction de la production d’expressions littérales permettent d’éviter ce genre de question, parce que la situation d’introduction animée correctement a rendu intelligible, voire naturelle l’introduction d’une lettre et la mise en expression. J’en propose deux sur www.mathscours.com. Le grand classique en 5e : le carré bordé ; et une autre de la même espèce en 4e : le banquet (https://www.mathscours.com/4chap7-calcul-litteral)
Bien des notions nouvelles pour les élèves se dissimulent derrière l’expression littérale : statut de la lettre, déclaration de variable, substitution d’une variable par un nombre, structure d’expression, rôle de l’expression littérale, égalités d’expressions littérales… Les deux situations citées plus haut permettent aux élèves de comprendre que l’introduction de la lettre et de l’expression permettent de passer du singulier au général, c’est-à-dire qu’elles peuvent représenter n’importe quel nombre dans un ensemble. Elles permettent également de constater que deux expressions littérales peuvent être différentes mais équivalentes, même si les élèves ne savent pas encore transformer une expression en une autre. Bref, la situation d’introduction est ici essentielle si l’on souhaite que nos élèves soient en mesure de comprendre et donc d’apprendre à manipuler et à se servir intelligemment des expressions littérales.
« Mais comment je sais alors quand je dois proposer une situation d’introduction aux élèves ? »
Ça, ce sera ton expérience et ta culture didactique qui te guidera dans ces choix. Je te conseille en tous cas, à chaque fois, que tu écris une leçon de déterminer avec minutie les prérequis et les difficultés potentielles des élèves, de faire une analyse didactique en somme. Les documents d’accompagnement qui concernent les thèmes au programme donnent des recommandations qui me semblent pertinentes sur ces questions. Ils présentent notamment des situations d’introduction reconnues par la recherche en didactique comme pertinente (celui sur le calcul littéral notamment).
« Ok, ok, mais comment faire pour écrire la leçon quand on débute ? »
3. Comment préparer la leçon quand on débute ?
Quand tu as préparé ta séquence, tu as dû lister des objectifs d’apprentissage : il y en entre 3 et 6 par séquence. Tu peux retrouver ceux qu’on a listés avec mes collègues pour le niveau 4e par exemple en suivant ce lien : https://www.mathscours.com/quatrieme.
Une leçon au collège répond en général à un objectif d’apprentissage. L’usage est que la leçon écrite lors d’une séance ne dépasse pas la demi-page d’un grand cahier au collège. Le texte de la leçon doit être concis, mais écrit rigoureusement dans un langage adapté au niveau de classe. Les élèves doivent pouvoir se repérer aisément dans leur leçon ; ils doivent pouvoir retrouver facilement la définition ou la propriété ainsi que l’exemple ou la méthode qui leur servira à résoudre les exercices d’entraînement.
Il est parfois conseillé de construire la leçon avec les élèves, cela favoriserait la mémorisation. Je ne sais pas, en tous cas la recherche ne l’a pas prouvé. Ce qui est sûr, c’est que dire et écrire une leçon tout seul au tableau dans le secondaire n’est pas efficace et ne favorise pas son appropriation pour la plupart des élèves. La leçon gagne à être éclairée par un dialogue entre toi et la classe. La leçon préparée en amont par l’enseignant peut être modifiée en séance en fonction des commentaires des élèves, mais il est essentiel à mon avis qu’elle soit écrite rigoureusement à l’avance, sinon l’improvisation produira inévitablement des erreurs, des maladresses de formulation ou de l’incohérence dans l’articulation des notions.
« Oui, mais c’est difficile de se mettre au niveau des élèves, d’écrire des maths rigoureusement avec un langage adapté à leur niveau de classe… »
Oui, mais tu disposes des manuels des élèves. Je conseille d’en utiliser deux au début, ça permet de comparer les formulations, les exemples choisis, etc. sans se perdre. Et ensuite, vérifie bien à l’aide des programmes officiels, des repères annuels de progression et des attendus de fin de cycle que tu es bien dans les clous.
« Ok, mais les élèves écrivent lentement, donc je préfère donner un texte à trous pour la leçon sinon on y passe toute l'heure... »
Idéalement, les élèves gagneraient à écrire chaque bilan en entier à la main. Les chercheurs qui s’occupent de notre école ont constaté l'inflation des polycopiés à l'école. Dès leur plus jeune âge, les élèves se voient distribuer des fiches à coller et des fiches à trous à compléter en guise de leçon. L’objectif est de gagner du temps ; c'est vrai que faire copier un texte à une classe prend du temps. Cela étant, la généralisation de cette pratique a probablement rendu les élèves plus lents à écrire qu’ils ne l’étaient auparavant. Il est ainsi recommandé de faire écrire la leçon en entier.
« C’est quand même dur, on n’a déjà pas le temps de finir le programme… »
Oui, effectivement, le programme de maths du cycle 4 et de 2de est difficile (impossible ?) à terminer proprement avec 3h30 par semaine. C'est probablement moins le cas pour le programme de cycle 3, le temps qui passe est probablement la principale contrainte du prof de maths de collège. Il nous oblige à arbitrer en permanence entre différentes activités. C’est pour cela que, même si on considère que prendre le temps de faire écrire les élèves est essentiel, on se retrouve bien souvent à distribuer des fiches à compléter de peur que le temps d’activité mathématique des élèves en classe ne soit trop succinct. Il s’agit alors de trouver son équilibre.
Premièrement, on peut faire écrire des leçons entières pour une partie d’entre elles. Pour les autres, en guise de compromis, on peut se fixer quelques limites à ne pas franchir. Il est par exemple préférable de laisser à la charge des élèves :
l’écriture de toutes les définitions et propriétés (en entier !). C’est important que les élèves s’habituent à leur syntaxe qui relève elle-aussi de la culture de la discipline.
l’écriture des formules avec l’égalité afférentes.
l'écriture des exemples, notamment en raison du caractère modélisant de leur rédaction.
Par ailleurs, je ne suis pas certain que les fiches à « petits trous », c’est-à-dire les fiches avec un mot à compléter par-ci par-là, aient un intérêt. L’intention de l’enseignant qui les élabore est en général de maintenir l’attention des élèves pendant que la leçon est lue et discutée, mais est-ce efficace ? Si l’urgence nous mord la nuque, il me semble préférable de pré-écrire pour les élèves les titres, les remarques, les consignes et de faire écrire le reste.
« Et en classe : j’écris la leçon, je l’explique, et ensuite je fais les exercices d’entraînement et de réinvestissement du chapitre ? »
5. Comment faire vivre la leçon en classe ?
Oui, mais en étant vigilant, la leçon écrite en séance doit correspondre à l’objectif de la séance. On n’écrit pas l’ensemble de la leçon de la séquence d’une traite. La leçon n’excède en général pas 20-25min en séance. Elle doit être motivée par une situation d’introduction ou une explication selon les cas. Les formulations et les nouveaux mots doivent faire l’objet d’une attention particulière d’un jeu de formulation et de reformulation avec la classe. On n’introduit pas un nouveau mot sans s’y arrêter. Il est intéressant de faire un travail sur son étymologie, ses homonymes, ses synonymes et surtout de le faire employer par les élèves et de bien leur laisser le temps, en cours dialogué, de reformuler leurs interventions maladroites.
Par ailleurs, en maths au collège, la leçon est souvent considérée par les élèves fragiles comme inutile pour réviser. Les évaluations sont constituées d’exercices, donc pour eux, ce qui est important, c’est de refaire les exercices, voire refaire les exercices corrigés en classe. Le rôle de la leçon comme support pour réussir les exercices est important à expliciter. La leçon comprend des exemples et des méthodes. Voici une réponse classique d’un élève de collège fragile en maths à la question « à quoi servent les exemples et les méthodes écrites dans la leçon ? » : « Bah à rien, c’est déjà corrigé ». Il s’agit donc de leur expliciter le rôle central des exemples et méthodes. Ce sont eux qui modélisent les attendus de l’enseignant pour la résolution des exercices de la séquence. Ils doivent donc être refaits en priorité quand on révise un cours.
4. Pour résumer :
- Lister les objectifs de la séquence ;
- Écrire un paragraphe de leçon qui correspond à chacun des objectifs en utilisant deux manuels ;
- Ce paragraphe ne doit pas faire plus d’une demi-page au collège et la leçon ne doit pas excéder 20-25min en séance ;
- Se demander comment rendre le plus intelligible possible ce paragraphe de leçon (situation d’introduction, explication…).
- Expliciter aux élèves le rôle de la leçon et de ses composants (propriétés, exemples et méthodes).
コメント